Le sens du sentier
ULTRA-TRAIL - Stage de reconnaissance de l’Ultra-Trail du Beaufortain avec l’agence 5ème élément du 18 au 20 juin 2021 -
Au moment où les compétitions de trail reprennent, après de trop nombreux mois de trêve liés à la crise sanitaire, épingler un dossard promet-t-il plus d’émotions qu’un parcours en off ? Voilà la question que m’a inspiré le stage de trail auquel je viens de participer dans le Beaufortain dans les Alpes du 18 au 20 juin derniers. L’objectif de cette session organisée par l’agence 5ème Elément pilotée par Caroline Freslon, était clair : réaliser en trois jours la reconnaissance de l’ultra-trail du Beaufortain (UTB) programmé les 17 et 18 juillet. Ce vendredi 18 juin sur le parking du plan d’eau de la petite commune de Queige, j’étais loin de songer que le périple qui s’ouvrait devant moi allait finalement poser sur la table un grand classique de la littérature « trailistique » : « Dis-moi, pourquoi tu cours ? ».
8 km et 1 500 m D+
Ce matin-là, à 6h45, les présentations sont rapides. Voici Benoît, Yohann, Cyril, Olivier, Julien, Véronique et moi. Nous sommes encadrés par l’accompagnateur de montagne et traileur élite, Sébastien Gérard, multiple vainqueur de l’UTB, mais aussi de l’Echappée belle et de la Petit trotte à Léon (en duo avec Thierry Bochet). On checke les crampons. On dépose notre sac de délestage. Et voilà, c’est parti dans la fraîcheur relative du matin.
Notre petite file indienne s’étire à peine. C’est le moment où chacun se demande quel est son niveau au sein du groupe. On avance à un bon rythme dans la montée de Molliessoulaz sans trop piper mot. On est tous appliqués : la mise en jambes est explicite. Un peu plus de 2 heures d’ascension plus tard, 8km et 1 500 m de D+ sont avalés. Séb’, qui sait désormais qui vaut quoi nous félicite : « Vous marchez tous très bien ». Il me semble qu’à ce moment-là, il n’a toujours pas d’eau dans ses flasques. Nous, on a tous déjà remis à niveau les nôtres. Sourire partagé, car pour le commun des coureurs, l’effort est déjà au rendez-vous.
Cours express de cramponnage

Les membres de notre team improvisé ne se connaissent pas encore. On est venus des quatre coins de la France : de Toulouse, de l’Est, de la région parisienne… Benoït et Yohann ont fait la route en combi ensemble. Ils sont potes de longue date et leur enthousiasme bienveillant fait du bien. J‘égrène les prénoms dans ma tête pour mieux les retenir. On est vite unis dans la combustion de l’effort. Les ischios jambiers se tendent. Les souffles se répondent. Le fluide du trail coule dans nos veines. Un dernier coup d’œil sur la vallée de Queige et nos corps épousent les variations des sentiers du Beaufortain. On s’élève d’un étage. Le vert des prairies cède le pas aux couleurs minérales et au manteau neigeux.
L’extraordinaire générosité de l’hiver lie définitivement notre team lorsque l’on chausse les crampons pour la première fois du stage pour assurer la traversée d’un versant. Comme une blague un peu second degré, une housse de protection de crampons dévale la pente blanche. Adieu ! Séb’ fait la trace en entaillant la neige avec le côté de ses semelles. Je le colle. On se met d’accord pour qu’il me donne la main, car il faut bien le reconnaître, c’est un peu la panique. J’ai environ 10 ans. Je focalise juste sur mes pas. Mes baskets bleues gainées dans l’élastique vert fluo de mes crampons. Le pied droit, puis le pied gauche dans la trace sculptée. La neige maculée par la terre brune restée sous nos chaussures. Notre concentration nous isole sur cette ligne tendue que nous traçons sous un soleil imperturbable.
Surmonter ma trouille de ces passages dans la neige a été ma plus grande conquête pendant le stage. Le cramponnage a d’ailleurs été pour tous l’un des apprentissages de cette reco’. Une carte imposée par la montagne, qui nous a impressionnés à tour de rôle, passionnés et même bien fait rigoler. Entre deux dévers, il y a eu quelques descentes sur les fesses mémorables dans les combes, les bâtons de trail sens dessus dessous ! Pourtant, surfer sur la neige, talons plantés droit dans la pente, ça semble tellement facile quand on regarde faire notre guide.
Temps suspendu versus chronomètre
Lorsque tu t’embarques dans un trail, tu le cours d’une traite en t’arrêtant juste ce qu’il faut aux ravitos. Tu prends le temps d’être ébloui, bien sûr, par les paysages, la lumière, les couleurs et les formes des fleurs, le son puissant des torrents. Tu fais aussi de jolies rencontres pendant ta petite épopée personnelle. Mais, le chrono finit toujours par te rattraper.
Le vrai plus d’un stage de trois jours en montagne, ponctué par des nuits en refuge, est qu’il permet une immersion durable. Il te rappelle que peu importe le dossard, se déplacer sur les sentiers est une fin en soi. Une activité qui t’électrise parce qu’elle te rapproche de la nature et te permet d’être traversé par les éléments : le vent, la pluie parfois, le soleil, la rudesse du relief… A une grande journée de trail succède une autre grand journée de trail qui marque un peu plus ton corps, renforce tes muscles, creuse tes ridules sur ton visage, donne un goût de sel à ta peau. Un moment hors du temps où seuls comptent les kilomètres et le dénivelé. 28 km et 2 700 m D+. 30 km et 2 000 m D+. 45 km et 2 300 m D+. Voilà l’équation primaire de nos trois journées. Redoutablement simple en fait. N’être plus qu’un rythme. Un souffle. Ressentir profondément son corps endurci comme une méditation ultime. Et s’endormir le soir dans un vrai lit au refuge du col de la Croix du Bonhomme avec le Mont Blanc en toile de fond pour mieux recommencer à courir le lendemain.
Les compagnons de route

Je ne serais pas en mesure de faire un récit chronologique de ce périple sur les sentiers du Beaufortain. En matière de course à pied, ma mémoire s’égare volontiers, guidée essentiellement par les sensations. Je garde de ce moment un souvenir à la fois physique et lumineux auquel ont beaucoup contribué mes compagnons de cordée et tous les locaux croisés sur notre route. Ca se mélange un peu dans ma tête, mais en vrac je me souviens d’Olivier assumant sa séance de cryothérapie dans le lavoir glacé du refuge de l’Econdu, les longues discussions autour du vin avec Benoît installé comme vigneron avec son épouse dans le Val de Loire, les histoires de courses bien entendu, notamment avec Véronique, venue préparer sa 5ème Diagonale des Fous. Les récits familiaux aussi : le portrait de Phoebe, l’indépendante, l’un des enfants de Yohann et le parcours des trois filles de Séb, qui ont préféré le duathlon… à la musique. Le trail est un moyen d’explorer et de partager. L’occasion de découvrir cette vie de la montagne que l’on ne connaît guère lorsque l’on a une vie urbaine au quotidien. L’environnement du refuge de la Gittaz avec sa petite chapelle et le café offert chaleureusement par Yann, également accompagnateur de montagne, font eux aussi partie des ces souvenirs venant enrichir mon parcours de traileuse.
Bref, je partais pour une reco’, je reviens avec le goût de la montagne. Les perspectives ouvertes sont bien plus larges que celles d’une arche d’arrivée. Je ne sais d’ailleurs pas si c’est une bonne nouvelle pour ma famille, qui aimerait tant renouer avec les vacances à la mer ! Plus sérieusement, après plus d’un an de confinements à rebondissements, où comme vous sans doute, je me suis retrouvée bousculée dans mes habitudes, cette aventure personnelle remet les choses dans un sens qui me convient : au premier jour, il y avait le trail, comme un vent de liberté. Puis seulement, naquirent les courses pour t’éprouver. Et vous, vous êtes plutôt dossard ou off ?
Plus d’informations sur l’agence 5ème élément, spécialisée dans les séjours de trail, alpinisme et ski de rando : https://www.5eme-element.fr
Photos : Yohan Terrien.